Nominations et mode de fonctionnement[modifier]
Annonce annuelle du prix Nobel à Stockholm
Chaque fin d'année, à l'automne, le prix Nobel est attribué par l'Académie suédoise3 qui constitue ses nominations, avec l'aide d'autres membres d'académies et de sociétés littéraires nationales et étrangères, d'éminents professeurs d'université en littérature, langue etlinguistique, d'anciens lauréats du prix ou encore des présidents d'associations nationales d'écrivains représentatives de la production littéraire dans leurs pays4. Chacun propose une liste de plusieurs noms qu'il peut détailler et expliquer et la communique au Comité Nobel comprenant 5 académiciens élus pour 3 ans. Il est interdit à chacune des personnes sollicitées de voter pour elle-même. Près de 350 noms sont proposés annuellement aux membres du comité qui les élaguent à partir du 1er février5 pour ne garder que 15 à 20 candidatures envoyées ensuite à leurs collègues. En mai, les académiciens fixent une liste finale de 5 noms. Après avoir étudié en détail l'œuvre des auteurs en lice, les jurés organisent plusieurs discussions. En conclusion des débats, début octobre, ils procèdent à un vote. La personne qui obtient plus de la moitié des voix est désignée comme lauréate du prix. Les 4 recalés sont réinscrits d'office pour les sélections de l'année suivante2. Le jury peut aussi déroger à la règle suite à une décision exceptionnelle comme dans le cas très rare d'attribution d'un prix double ou conjoint6. Ce mode de fonctionnement est similaire pour toutes les autres catégories du prix Nobel. L'identité du récipiendaire est révélée par le secrétaire perpétuel de l'Académie, courant octobre, lors d'une conférence de presse dans le bâtiment de Börshuset, situé dans la vieille ville de Stockholm. Le contenu des délibérations et la liste finale des 5 personnalités sont gardés secrets pendant 50 ans7. Le nom du vainqueur fait en conséquence l'objet de spéculations au sein des milieux littéraires.
Même si le montant de la somme inhérente au prix a évolué au cours de son histoire, il est fixé aujourd'hui à 10 millions de couronnes suédoises, à savoir environ un million d'euros8. Chaque personnalité récompensée se voit décerner par le roi de Suède, au cours de la Cérémonie de remise des prix Nobel, le 10 décembre à Stockholm, la médaille d'or et le diplôme de la Fondation Nobel. Le gagnant doit également faire un discours dans lequel il définit son œuvre et ses aspirations artistiques.
Une histoire controversée[modifier]
Nombre de critiques, spécialistes et cercles de lecteurs pensent que la qualité des apports poétique et esthétique d'une œuvre au domaine des Lettres n'est pas le seul critère impartial sur lequel s'axe l'Académie suédoise pour attribuer le prix Nobel. Son histoire est jalonnée de controverses et il entraîne régulièrement des contestations.
Les premières années[modifier]
Le poète français Sully Prudhomme, premier lauréat du prix Nobel de littérature.
Lors des premières années de l'attribution du prix Nobel, le critère d'« idéalisme », fixé par le testament d'Alfred Nobel9 est la principale cause de l'oubli d'écrivains et de dramaturges aussi importants que Léon Tolstoï, Anton Tchekhov, Émile Zola, August Strindberg, Henry James ou encoreHenrik Ibsen dont les œuvres ne sont pas jugées suffisamment « idéalistes » pour figurer aux palmarès. Pendant la Première Guerre mondiale, l'Académie suédoise affiche une ligne de neutralité, récompensant des auteurs de pays ne prenant pas part à la guerre (comme la Suède et leDanemark par exemple) puis change de ligne de conduite dans les années 1920, primant des écrivains ouvertement sceptiques et critiques comme Carl Spitteler et Anatole France.
Le choix des lauréats dans les années 1950[modifier]
En 1954, 27 écrivains sont pressentis, dont l'Espagnol Ramon Menendez Pidal, l'Américain Ernest Hemingway, et les Français André Malraux etAlbert Camus dont les noms circulaient depuis la fin des années 1940. Même si les jurés suédois ont une préférence pour Malraux, celui-ci n'a pas écrit de romans depuis longtemps, ce qui rend son choix impossible. Hemingway, lui, vient d'écrire Le Vieil Homme et la mer deux ans plus tôt. Le cynisme, la sécheresse et la brutalité de son écriture s'accordent mal avec l'idéal exigé par le testament d'Alfred Nobel mais l'écrivain a une forme d'héroïsme qui séduit certains jurés. C'est finalement lui qui l'emporte10.
En 1955, 46 noms sont écrits sur la première liste de pressentis, dont les Français Camus, Henri Bosco, Malraux, Jules Romains, Georges Duhamel. C'est finalement l'Islandais Halldór Laxness qui est choisi. En 1956, parmi les 44 écrivains pressentis, il y a 12 Français : Georges Duhamel, Marcel Pagnol, Henry de Montherlant, Henri Bosco, Jean Guitton, Marthe Bibesco, Saint-John Perse, André Malraux, Gabriel Marcel, Albert Camus, Jean Schlumberger, Jules Supervielle. Mais c'est l'Espagnol Ramón Menéndez Pidal qui a le plus de parrainages de personnalités et d'institutions. Pour Herr Österling, secrétaire perpétuel de l'académie, le choix doit se faire entre lui et Juan Ramón Jiménez : « Il est évident que la zone espagnole a été sérieusement négligée depuis 1922, lorsque le dramaturge Jacinto Benavente a été récompensé. le choix doit se faire entre lui et Jimenez10 ». Camus venait lui de publier La Chute, un récit qui pour les membres du comité pouvait être comparé à La Peste. Cette nouvelle œuvre renforce indéniablement les mérites de Camus pour obtenir le Nobel, mais le jury préfère attendre pour un examen approfondi. Juan Ramon Jimenez est donc choisi.
En 1957, 49 noms sont cités sur les listes dont 12 nouveaux. Cette fois-ci, l'avis du comité est unanime : Albert Camus. Quelques mois auparavant, le 14 avril, Anders Österling écrit une critique élogieuse de L'Exil et le Royaume dans le quotidien Stockholms Tidningen. Le 17 octobre 1957, Albert Camus est choisi « pour son importante œuvre littéraire qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant, les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes10 ».
Un prix politique ?[modifier]
En 1958, l'attribution du prix à Boris Pasternak déclenche la colère des autorités soviétiques. L'auteur est forcé de décliner la récompense pour s'épargner des sanctions11.
En 1964, Jean-Paul Sartre décline le prix Nobel qui, selon lui, est « beaucoup trop tourné vers l'Occident »12.
Le lauréat de 1970 Alexandre Soljenitsyne, dissident soviétique, ne veut pas se rendre à Stockholm de peur de ne pas être autorisé à retourner en Union soviétique où il est assigné à résidence et où son œuvre, mise à l'index, circule clandestinement. Mais après le refus du gouvernement suédois d'honorer Soljenitsyne par une remise du prix avec lecture et discours publics lors d'une cérémonie organisée à l'ambassade de Moscou, l'écrivain est prêt à décliner la récompense et l'argent, rejetant les conditions suédoises qui, selon lui, sont « une insulte au prix Nobel lui-même ». Il ne peut percevoir sa distinction qu'après avoir été déchu de sa nationalité soviétique et exclu d'URSS en 197413.
La non-attribution du prix est souvent polémique dans la mesure où elle peut avoir valeur de sanction politique. Maintes fois retenu sur les listes, Jorge Luis Borges par exemple, n'a jamais été récompensé comme l'affirme son biographe Edwin Williamson dans Jorge Luis Borges, une vie, en raison de ses relations conciliantes, voire troubles, avec les dictatures argentine et chilienne14.
En août 2006, suite au chahut médiatique provoqué par la révélation de l'engagement volontaire au sein de la Waffen-SS en 1944 de Günter Grass (récompensé en 1999), la Fondation Nobel intervient face aux sommations de la droite allemande et d'une partie de la presse qui demandent à l'écrivain de rendre sa récompense et la somme d'argent reçue. Le président du comité déclare que « l'attribution des prix est irréversible car aucun prix Nobel n'a été retiré à quiconque par le passé15. »
Les derniers choix du jury ont été soupçonnés, par une partie de la presse, d'être plus motivés par l'actualité politique que par l'objectivité artistique, notamment avec le couronnement d'Harold Pinter en 2005 qui concorde avec ses virulentes prises de position contre la guerre d'Irak ou celui d'Orhan Pamuk en 2006 après la reconnaissance publique par ce dernier dugénocide kurdo-arménien16.
Des attributions contestées[modifier]
Le comité est critiqué pour ses largesses vis-à-vis de la littérature allemande. Heinrich Böll par exemple a reçu le prix mais pas Bertolt Brecht. En 2009, alors que la presse attend le couronnement d'un grand nom de la littérature mondiale, Herta Müller, méconnue en dehors de la scène littéraire germanophone, devient le troisième écrivain de langue allemande récompensé en moins de dix ans17.
En 1974, Graham Greene, Vladimir Nabokov et Saul Bellow sont donnés favoris. Mais le comité préfère attribuer un prix conjoint aux écrivains suédois Eyvind Johnson et Harry Martinson, tous deux membres de l'Académie et donc jurés du prix Nobel. Bellow est finalement honoré deux ans plus tard en 1976, mais ni Greene ni Nabokov ne seront primés18.
L'année de l'attribution surprise du prix à l'homme de théâtre Dario Fo, en 1997, Salman Rushdie et Arthur Miller en lice cette année-là, faisaient figure de grands favoris. Mais le jury aurait considéré leur éventuelle victoire comme « beaucoup trop prévisible », émanant d'un choix « trop populaire »19.
En 1989, la romancière Kerstin Ekman avait déjà « démissionné » de l'Académie suédoise pour cause de non-condamnation, de la part de ses collègues, de la fatwa islamique contre Rushdie20. Elle a toujours sa place à l'Académie mais refuse depuis l'affaire Rushdie de participer aux réunions.
Le choix d'Elfriede Jelinek en 2004 n'a pas seulement partagé la presse mais il a également été l'objet de violents débats au sein de l'Académie. Sur l'exemple d'Ekman, le professeur en littérature scandinave Knut Ahnlund quitte sa fonction d'académicien en 2005, jugeant l'honneur fait à l'écrivain autrichien être un « choc d'une extrême gravité, ayant causé des dommages irréparables à la littérature de manière générale et à la réputation du prix en particulier »20. Il ne participe plus à aucun débat de l'académie même s'il en a encore le droit.
Les propos de l'ancien secrétaire perpétuel de l'Académie suédoise Horace Engdahl, qui justifiait devant l'Associated Press en octobre 2008 la précellence accordée par les jurés aux auteurs européens, ont déclenché un tollé au sein des milieux littéraires outre-Atlantique : « Il existe bien sûr des auteurs forts dans toutes les grandes cultures, mais on ne peut pas nier le fait que l'Europe est toujours le centre du monde littéraire... pas les États-Unis [...] Les États-Unis sont trop isolés, ils ne traduisent pas assez et ne participent pas au dialogue des littératures21. »
Critiques récentes[modifier]
Le comité a souvent été taxé d'« élitisme » et d'« engagement gauchiste » par une partie de la presse car il met régulièrement à l'honneur des romanciers ou des poètes méconnus du grand public, pour la plupart engagés à gauche, mais le jury a toujours revendiqué son indépendance2.
Plusieurs spécialistes dont Burton Feldman regrettent que la liste des lauréats comporte nombre d'oublis majeurs : des monuments de la littérature universelle tels que James Joyce,Marcel Proust, Robert Musil, Virginia Woolf ou encore Witold Gombrowicz n'y figurent pas22.
Récemment, le journal anglophone suédois The Local a déploré que la littérature pour enfants soit méprisée par les académiciens23.
Au vu du nombre de lauréats, l'Europe est sans conteste le continent le plus récompensé par l'Académie. Plusieurs journaux suédois ironisent sur le fait que la Suède détient plus de prix Nobel que l'Asie tout entière24. L'Afrique est sans conteste le continent le plus boudé par le comité : si l'on excepte les deux Sud-Africains anglophones Nadine Gordimer et John Maxwell Coetzee, récompensés respectivement en 1991 et 2003, on constate qu'un seul auteur noir africain anglophone : le Nigérian Wole Soyinka, en 1986, et un seul écrivain arabophone : l'Égyptien Naguib Mahfouz en 1988, ont été distingués. D'autres auteurs de prime importance comme Ngugi wa Thiong'o, Chinua Achebe, Assia Djebar ou Nuruddin Farahn'ont pas encore obtenu les faveurs du jury.
Liste des lauréats[modifier]
En tout, 105 prix Nobel ont été attribués (il n'a pas été décerné 7 années)
Années 1900 - 1910 - 1920 - 1930 - 1940 - 1950 - 1960 - 1970 - 1980 - 1990 - 2000 - 2010